Portrait :Tariq Krim, évangéliste 2.0.

Interview pour le Monde en juin 2006.

Portrait :Tariq Krim, évangéliste 2.0.

INTERVIEW. Tariq Krim, spécialiste des médias sur Internet, est consultant pour de nombreux projets en ligne. Il a créé, il y a quelques années, un site d'information sur la musique en ligne, generationmp3.com, et s'est lancé, il y a plus de six mois, dans l'expérience Web 2.0 avec netvibes.com.



Le Web 2.0, qu'est-ce que c'est ?

Tariq Krim : J'ai lu un papier de Tim O'Reilly [auteur et éditeur d'ouvrages informatiques de référence] il y a un an et demi qui parlait de Web 2.0 avec des formules toutes prêtes et toutes faites sur ce que devait être le Web du futur. Moi, je perçois plus ça comme un retour aux sources : le Web a été placé en hibernation depuis l'avènement et la domination sans partage des géants comme Google, Yahoo! et Microsoft, qui ont expulsé les médias classiques du Web pour dominer ce marché. Depuis deux ou trois ans, des acteurs extrêmement innovants créent de nouvelles applications notamment autour des blogs, des podcasts ou des flux RSS.

En fait, ça n'est ni une évolution ni une révolution. C'est une continuité, une agrégation de tous les usages et de tous les modes d'accès tels les baladeurs mp3, les navigateurs et autres connexions à Internet. Ces nouveaux flux d'informations permettent une convergence universelle des services, et ont maintenant atteint un seuil critique, c'est pourquoi la demande des utilisateurs change. Ce qu'il manquait jusqu'à présent, c'était des outils simples de liaison entre tous les contenus et toutes les applications. Le RSS et ses dérivés, lancés il y a presque dix ans, commencent enfin à émerger.

Sur le Web, la matière première est l'information. Elle se décompose en deux types : l'information structurée – typiquement le blog, outil de production massive d'information structurée, mais aussi le podcast, les flux RSS, les calendriers iCal, et tout ce que l'on appelle les micro-formats, sans réel acteur dominant aujourd'hui – et, d'un autre côté, l'information non structurée – les pages Web –, restituée directement par des applications dont le leader absolu est Google.

Pourquoi maintenant ?

Tariq Krim : Maintenant que l'information se structure en amont, il y a de plus en plus d'outils spécialisés pour la manipuler. Newsvine est, par exemple, l'un des services, sans équivalent en France, que je trouve le plus abouti aujourd'hui. C'est l'hybridation parfaite entre deux autres outils agrégateurs de news que sont Digg et Memeoramdum. Pour ma part, j'ai créé Netvibes justement pour fournir un outil, une interface de visualisation d'informations structurées. Mais ce projet n'a pu voir le jour que parce que l'on a atteint un niveau, une masse critique d'informations structurées. C'est en quelque sorte un outil démocratique du Web 2.0. Il donne le contrôle afin de ne pas se "casser la tête" dans l'utilisation de toutes ces ressources.

Et paradoxalement, cette masse d'informations est le danger à venir : trop d'informations tue l'information. On est passé du "mass media" à l'information de masse. Il y a trop d'informations sur tout : par exemple, on peut avoir 500 blogueurs qui parlent du même sujet en même temps. La valeur ajoutée va aller à tous ces services qui permettent à l'utilisateur de reprendre le contrôle de cette masse d'informations.

Le Web 2.0 revient à se demander comment utiliser cette richesse de production d'informations et surtout comment la contrôler. La force de Google a été de transformer l'immensité du Web en quelques pages structurées où les internautes ont l'impression de trouver ce qu'ils cherchent. Tout l'enjeu du Web 2.0 va être de transformer les nouveaux vecteurs de production d'informations en quelque chose que l'on peut utiliser de manière intuitive.

Et la suite ? Le Web 3.0 ?

Tariq Krim : C'est le continuum. Au départ, l'information était un joyeux fouillis. Ensuite, elle a commencé à se structurer mais sans interconnexion. Puis ces informations ont été progressivement connectées entre elles, et nous en sommes maintenant au stade de la connexion permanente dans une sorte de "continuum informationnel permanent".

L'étape suivante va vers le online permanent des machines, mais aussi des gens, des objets, etc. Ce qui va poser de plus en plus de problèmes juridiques : demain, mon baladeur mp3 ou ma télévision deviennent, comme mon blog, un outil de diffusion de tout ce que j'écoute ou regarde. En face, mes auditeurs, mes spectateurs ou leurs objets peuvent à leur tour télécharger, conserver ou bien répondre en diffusant automatiquement par les mêmes circuits. Ipv6 permettra cet adressage unique de chaque objet de notre environnement, c'est une étape indispensable pour les adresses, mais aussi un réel danger de contrôle à la "Big Brother".

On peut faire l'analogie avec le pétrole à propos de valeur ajoutée : au début il y avait la matière brute, l'énergie. On a alors commencé à raffiner. Puis sont arrivés les produits dérivés, les plastiques. Donc une autre forme de valeur va émerger. D'après Google, ce sera l'émergence de l'intelligence artificielle appliquée à ce continuum d'informations. La science-fiction a défriché cela depuis longtemps et alerté sur la corrélation entre le nombre de connexions et l'arrivée d'une intelligente numérique : c'est le scénario des Terminator, Au-delà du réel, etc.

Mais quel que soit notre futur, ce qui est sûr, c'est que les médias traditionnels ont des questions à se poser. Ils vont devoir exister entre les blogs, les podcasts, la vidéo, mais également les amis producteurs d'informations, les objets communicants de notre environnement, etc. En somme, pour faire face à une information conventionnelle tellement massive, ils vont devoir réinventer leur rapport à l'information.

Propos recueillis par Olivier Dumons

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